dimanche 27 septembre 2015

Grain de beauté et laideur du monde...

Lignes de faille
de Nancy Huston
Actes Sud - Août 2006 (481 pages)

L'auteur

Née à Calgary (Canada), Nancy Huston, qui vit à Paris, a publié de nombreux romans et essais chez Actes Sud et chez Leméac, parmi lesquels Instruments des ténèbres (1996, prix Goncourt des lycéens et prix du Livre Inter) et l'Empreinte de l'ange (1998, grand prix des lectrices de Elle).




4ème de couverture


Je tiens la main de m'man, sa main est avec moi à New York mais sa tête sillonne encore la planète : sans même nous demander comment on va, elle se met à parler à toute berzingue. Sa voix ne promet rien de bon alors je laisse les mots se produire là-haut, au niveau de la bouche des grandes personnes, pendant que moi je reste près du sol à étudier les milliers de pieds qui courent dans tous les sens. Je pense à ce qui se passerait si une bombe était lâchée sur JFK et que tous ces gens étaient soudain morts ou démembrés en train de patauger dans des flaques de sang. Ma chauve-souris me dit de monter le son des avions bombardiers le plus possible dans ma tête...

L'histoire en quelques mots...


Ligne de faille est un livre qui pourrait très bien se lire à reculons, en débutant par le dernier chapitre pour terminer par le premier, il serait tout aussi compréhensible, mais perdrait beaucoup de sa force. Dans ce roman, Nancy Huston évoque des instants de vie de quatre enfants de la même famille (deux garçons et deux filles) à des époques différentes en débutant par l'année 2004  pour terminer par l'année 1945.
L'auteur a choisi pour point fixe l'âge de six ans pour chacun de ses protagonistes, c'est l'âge qu'elle même avait quand sa propre mère a quitté le domicile familial... 

Mon avis

La violence sournoise, insidieuse, glauque et quasi permanente de la première partie a bien failli avoir raison de mon envie de lire ce bouquin. Le comportement licencieux et morbide du petit garçon, Sol, m'a beaucoup troublé et dérangé, ainsi que son incroyable maturité. Nonobstant ce côté perturbant des premières pages, ce livre est remarquable. Les chapitres suivants s'abordent plus sereinement car, même si le fond reste toujours sombre, les comportements des  enfants sont plus faciles à comprendre et les ascendants du petit Sol nous délivrent vite du poids du premier chapitre.
Ce roman traite principalement de la filiation et des relations mère-enfant. Le thème du lien maternel est très fortement développé ainsi que celui de la guerre et des dégâts collatéraux sur les familles. J'ai beaucoup appris sur le  "Lebensborn", association gérée par la SS dans le cadre de sa politique d’eugénisme.
Je vous conseille cette lecture qui est particulièrement marquante, mais aussi parce que l'écriture de Nancy Huston est vraiment, vraiment belle... 


 
Lignes de faille - Mise en scène par Pierre Grobois

Quelques extraits

"Maman a regardé le  programme des films et décidé que j'étais trop petit pour voir le journal de Bridget Jones, même si je doute que ce soit aussi explicite que les sites d'"Abou Ghraïb" ou d'"Enfile-la de force", mais je garde ces pensées dans mon cerveau pour ne pas la traumatiser."

"Grand-maman et grand-papa ont fait exprès d'acheter un chien à poil courts pour qu'il ne perde pas ses poils dans la maison, en d'autres termes la chose la plus importante pour eux au moment d'acheter un chien était la longueur de ses poils, ils ne se sont pas préoccupés de son caractère, qui s'est avéré très mauvais."

"J'adore les livres où quelqu'un meurt. Je rêve que ma mère meurt et que des centaines de gens viennent à ses funérailles, grand-maman et grand-papa se tiennent au bord de sa tombe, l'air affligés, et je leur dis : "Mais pourquoi vous n'étiez pas plus gentils avec elle quand elle était vivante?""

La pièce de théâtre...


mercredi 2 septembre 2015

"Nos mains nues, rincées de larmes"


"Sauf quand on les aime"
de Frédérique Martin

Editions Belfond - août 2014




Biographie


Frédérique Martin vit près de Toulouse. Prix Prométhée de la nouvelle pour L'Écharde du silence (Le Rocher, 2004), elle a également publié, entre autres livres, un roman pour la jeunesse, un recueil de poésie et, chez Belfond, Le vase où meurt cette verveine (2012). (Note de l'éditeur)





Mon avis

J'ai été prise dans les filets de l'émotion avec ce livre que j'ai lu en quelques heures.
Quelle chaleur, quelle humanité dans ce petit monde de jeunes colocataires !
J'ai rencontré Claire, Juliette, Tischa, Kader et Monsieur Bréhel, tous différents, mais tous terriblement attachants.
Kader est fou amoureux de Juliette, mais Juliette en aime un autre... un autre qui ne l'aime pas ou plutôt pas comme elle aimerait...
Monsieur Bréhel, le voisin discret est secrètement épris de Claire, cette jolie et délicate violoncelliste qui aime... quelqu'un d'autre.
Ce livre est une histoire de vies croisées, une fiction arrachée à un monde contemporain difficile pour certain, où la violence, l'alcool et la drogue sont souvent les seuls recours ou échappatoires.
J'ai beaucoup aimé l'écriture franche, vraie, fluide et poétique de Frédérique Martin, mais aussi et surtout la bienveillance qui s'en dégage. Je pourrais encore épiloguer sur mon ressenti, mais je préfère vous laisser découvrir ce très beau roman.

4ème de couverture


Claire, Juliette et Kader ont un peu plus de vingt ans, et la vie les a déjà malmenés. Dans un contexte peu accueillant, ils se sont adoptés et ont fabriqué ensemble une nouvelle famille. L’arrivée de l’indomptable Tisha et les tourments enflammés de monsieur Bréhel vont tout bousculer. De Toulouse à Tunis, pris entre amour et amitié, ils se frôlent et se heurtent, mais tentent à tout prix de préserver leur tendresse et leur solidarité.
Jusqu'au jour où la violence leur impose la mesure du réel.
Sauf quand on les aime ébauche le portrait d’une jeunesse silencieuse qui peine à se mettre au monde. Une jeunesse meurtrie en quête de liberté et d’avenir, confrontée au défi d’aimer.

Quelques extraits ?

"Nos mains nues
Rincées de larmes
Ne savent plus où trouver
Les mauvaises réponses
Nos lèvres sèches fardées de suie
Butent sur des mots brisés
Nous fouillons dans les cendres
Pour lever des fossettes,
Des clavicules
De tendres poplités,
Et l'écho d'un certain rire
Quand nous éveillerons -nous
À l'immense désir du vivant?"


"Croire que la vie insiste, insister pour la vivre, et tenir inlassablement ses mains ouvertes sur ceux qui nous ont précédés comme sur ceux qui nous viennent. Se répéter qu'il y a tout à craindre des gens et des jours, des jours et des gens, sauf quand on les aime."

"Bientôt nous serons prêtes avec nos ailes qui poussent en dedans
à couvrir de ferveur tous les fruits du hasard"